Les organismes communautaires agonisent. En tant que médecin, le premier ministre devrait chercher à les guérir, et non à les achever.
Lettre d’opinion par Geneviève Ricard de l’Accorderie de Shawinigan
Monsieur Couillard, cette lettre s’adresse à vous, ainsi qu’à tous vos ministres, hauts fonctionnaires, conseillers et autres décideurs.
Je travaille à L’Accorderie de Shawinigan, un OBNL dont la mission est de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Nous faisons partie d’un vaste réseau composé de douze Accorderies québécoises et de plusieurs autres en Europe. Nous tentons de faire une réelle différence dans la vie des gens en organisant des échanges de service, des activités sociales, des ateliers, des épiceries collectives et un crédit solidaire.
Partout au Québec, des gens sont sortis de leur isolement grâce aux Accorderies. Ils ont regagné confiance en eux, se sont sentis valorisés, utiles et ont pu profiter de services qu’ils n’auraient pas eu les moyens de se payer. Et les accordeurs plus fortunés ont pu ressentir l’immense satisfaction d’aider (et de se faire aider par) son prochain sans que l’argent, pour une fois, ne soit un moteur.
Je vous parle des Accorderies, mais je pourrais vous parler des maisons de jeunes, des centres d’alphabétisation, des centres d’action bénévole, des banques alimentaires, des refuges pour femmes et enfants victimes de violence conjugale, des centres action suicide, des services d’aide en santé mentale, des services à l’intégration des personnes immigrantes, des services d’aide aux familles fragilisées et d’une multitude d’autres organismes communautaires qui, présentement, agonisent à cause de vous.
Notre financement était déjà grandement insuffisant. Il sera bientôt pratiquement inexistant.
Nous mettons nos employés à pied et épuisons nos bénévoles. Nous faisons le travail de trois, de quatre, sans nous faire payer toutes nos heures, car nous voyons bien que le compte en banque fond comme neige au soleil tandis que la demande de service explose.
Je vous ai entendu des dizaines de fois dire que les plus démunis ne seraient jamais touchés par les compressions. Je regrette, mais jusqu’à présent, il n’y a QUE les plus démunis qui sont touchés par votre « rigueur ». Nous les voyons, jour après jour, se présenter à nos bureaux pour demander de l’aide que nous ne pouvons plus leur accorder adéquatement. Comment pensez-vous que l’on se sent quand on dit à une femme battue qu’on ne pourra pas l’héberger ? Comme un complice…
Qu’allez-vous faire, M. Couillard, quand ils se présenteront en masse à l’urgence, au CLSC, à l’aide sociale ou au bureau de leur député ? Ferez-vous notre travail ? Je ne pense pas. Vous êtes en train d’enlever les pierres d’assises de notre société. Quand elle s’écroulera, qui sera dessous ? Vous et vos amis ? Je ne pense pas.
Puisque vous êtes devenu premier ministre, vous êtes sûrement un homme intelligent. Mais êtes-vous un homme de cœur ? En tant que médecin, vous devriez l’être. Vous clamez avec un grand sourire que vous atteindrez, en 2015-2016, « l’équilibre budgétaire ». Je me méfie de vos guillemets. Pour moi, ils sous-entendent que tout cela n’aura servi à rien… Cela m’attriste et me fâche. Comment allons-nous expliquer ça à notre clientèle ? Pourriez-vous, SVP, vous rappeler que, quand on fait tomber un domino, tous les autres derrière s’écroulent ? Nous sommes en train de mourir. Vous êtes médecin, n’oubliez pas l’un des principes fondamentaux de votre profession : d’abord, ne pas nuire…
Référence: Rigueur budgétaire _ d’abord, ne pas nuire..